Préambule
Dans ce livre, Nicolini met en correspondance les principales théories sociologiques autour des concepts de Pratique, travail, activité, organisation avec leurs fondements philosophiques. Il les illustre ensuite par leur mise en oeuvre dans l’analyse d’un terrain empirique, ce qui doit être passionnant.
L’objectif de la lecture du bouquin va être de bien assimiler les différentes théories et leurs fondements philosophique et de remplacer , en guise d’exercice pratique, son terrain de recherche par mes terrains de recherche !
1. Introduction
« Practice theories constitute, in fact, a rather broad family of theoretical approaches connected by a web of historical and conceptual similarities. » p.1
1.1 What is new ? The affordance of practice theories
« Phenomena such as knowledge, meaning, human activity, science power, language, social institutions and humain transformation occur withinand are aspects or components of the field of practices » Schatski 2001, p.2
Trad. « Dans cette perspective, le monde social apparaît comme un vaste assemblage de performances [individuelles] rendues durables par leur inscription dans des corps et des esprits humains, dans des objets et des textes, et noués ensemble de telle sorte que les résultats de chaque performance deviennent une ressource pour une autre.
De la sorte, les théories de la pratique offrent potentiellement une nouvelle vue sur les toutes les choses de nature organisationnelle (et sociale). L’attractivité du « langage » de la pratique " prend racine dans sa capacité à raisonner avec notre expérience contemporaine du monde qui est de plus en plus « en flux », interconnecté, un monde ou les entités sociales apparaissent comme le résultats de machinations complexes et de processus continus, et dans lequel, les frontières entre les entités sociales sont de plus en plus difficiles à dessiner.
Quand on entre dans un bureau, dans un supermarché, ou dans un hôpital, il est de plus en plus difficile de penser ces entités comme les résultats de la mise en oeuvre d’un plan d’action détaillé, ou comme une entité unique avec des frontières bien délimitées telles que les pensent les approches traditionnelles (structuro-)ménanistes ou (systemico-)fonctionnalistes des organisations. » p.2
Les théories des pratiques permettent de sortir des approches dualistes de type acteur / systeme, social, matériel, corps / esprit, théorie / action … p.2
Les approches basées sur les pratiques sont radicalement différentes [des approches sociologiques classiques] sur au moins 5 points :
- 1- Elles mettent au premier plan l’importance de l’activité, de la performativité et du travail dans la création et la perpétuation de l’ensemble des aspects de la vie sociale : Il y a toujours un effort de la part de quelqu’un ou quelque chose, qui produit et est produit en retour, de manière récursive. Les structures sociales sont ainsi temporelles, elles peuvent s’effondrer le processus récursif se brise. Ces approches invalident ainsi les théories dualistes consistant à doter d’autonomie existentielle des choses comme les superstructures (ou les idées platoniques). Les théories de la pratiques sont fondamentalement relationnelles.
- 2- Elles mettent également au premier plan les corps et les choses matérielles dans la production du social.
- 3- L’homo practicus des théories de la pratique est conçu comme un corps-esprit qui porte mais également réalise des pratiques sociales. A la différence de homo economicus qui est un « décideur semi-rationnel » et de homo sociologicus qui est un « suiveur de normes jouant un rôle social ».
- 4- L’approche par les pratiques transforme radicalement notre perception de la connaissance, du sens et du discours qui deviennent le fruit de processus contextualisés dans un environnement mutlidimensionnel (idéel, socio-culturel, matériel etc.) et interagissent avec lui
- 5- Le réel est politique en ce qu’il fait en permanence interagir les intérêts des individus (humains et non humains ?) qui le composent.
Les théories de la pratiques ont ainsi les caractéristiques suivantes :
- Elles prennent les pratiques (et non les praticiens) comme unité d’analyse basique / élémentaire
- Elles considèrent que les pratiques sont performatives : elles produisent du sens, de l’identité, de l’organisation …
- La cognition et la production du sens sont perçus comme des phénomènes émergents, issus des pratiques
- Les pratiques s’enracinent dans des activités discursives et matérielles, des corps, des artefacts, des habitudes, des préoccupations qui font la vie des organisations et de leurs membres
- L’apparente stabilité et durabilité des organisations et des institutions est perçue comme la résultante d’un renouvellement perpétuel d’un travail matériel et discursif.
- Les pratiques discursives sont centrales dans la reproduction du monde social et des organisations
- Le monde est conçu de manière relationnelle, sous la forme d’un réseau de pratiques
Commentaires Guillaume
Faciliter
Dans le cas de nos terrains de recherche SITI Chemins de la Transition Projet de recherche, partir des pratiques conduit à situer la naissance de ces projets avant même qu’ils n’existent :
- Un système d’information territorial interopérable au service de la transition et de la résilience des territoires existe déjà, par la force des choses, parce qu’il ne pourrait pas ne pas être.
- De très nombreux gens, en parcourant la France et le monde à pied, en train, en stop ou à vélo, à la rencontre des acteurs de la transition pour apprendre à leur contact, font déjà les Chemins de la Transition.
- Les acteurs de la recherche interopèrent déja leurs travaux de recherche en vue de produire de l’intelligence collective, par le biais des bibliographie et de toute une série d’autres mécanismes (les coloques, les apéros, les lectures et l’engrammation de la pensée des autres)
Partir des pratiques nous incite à simplement à faciliter, par des dispositifs socio-techniques, un certain nombre de processus et d’activités en vue d’en augmenter l’efficience, la massification et l’impact.
Comprendre par les pratiques
Décrire et comprendre nos terrains de recherche par les pratiques devrait être passionnant !
Pair ontologie Glossaire
Le concept de Pratique est décidément particulièrement intéressant … J’y avais pensé en alternative au concept de moyen dans la boite de droite, en lien avec enjeux et finalités … La découverte des théories des pratiques m’incite à creuser cette voie …
On aurait ainsi des finalités, des problèmes et des pratiques soit des actants (au sens de Latour je crois), immatériels, noologiques.
Valeur travail (et valeur du non travail ?)
Les théories des pratiques consacrent finalement la valeur travail et le rôle majeur des individus en tant que moteurs du monde social-historique. Sont-elles dès lors de droite ou de gauche ?
Selon https://degaucheoudedroite.delemazure.fr/, « théorie des pratiques » c’est de droite Effectivement elles semblent plus pencher du côté de l’individualisme que du holisme méthodologique.
Cependant « théories des pratiques », c’est de gauche : En effet, il n’y a pas une théorie mais des théories et l’on trouvera sans doute dans la suite du bouquin des pensées et théories de gauche basées sur les pratiques (le matérialisme historique de Marx, la praxeologie de Bourdieu par exemple?)
Elles consacrent donc la valeur travail, qui produit et transforme le monde. Mais à la manière de Paul Lafargue (gendre de Marx), ne pourrions nous pas faire un pas de côté, et nous intéresser à son symétrique inverse, à savoir le non-travail et pourquoi pas la non-pratique ? Seraient-ils, appliqués aux humains, également susceptibles de transformer le monde, en le réensauvageant, en permettant justement aux non humains de reprendre une bonne place dans le travail de production du monde social-historique ?
Biomimétisme
En lisant sur la théorie des pratiques, j’ai encore une fois l’impression qu’on se rapproche encore un peu plus d’une compréhension des phénomènes sociaux comme phénomènes vivants. La biologie cellulaire a compris depuis un bail les processus d’interaction et de rétroaction entre un corps et ses parties, entre un individu et son espèce, entre un individu et son contexte (épigénétique). L’écologie (scientifique) a de son côté également compris entre un individu (ou son espèce) et son milieu.
Individu du 3ème type
Hâte de voir si les théories des pratiques s’intéressent aux pratiques des personnes morales (ou individus du 3ème dans la terminologie d’Edgar Morin).